Haut potentiel : loin d’être un long fleuve tranquille
Ils sont portés à l’écran par Audrey Fleurot qui incarne, dans la série HPI, une femme brillante et extravertie qui travaille en collaboration avec la police sur des enquêtes. Une image fun de la personne haut potentiel assez éloignée de la réalité.
Frédérique De Jode
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
Les Nouvelles Caledoniennes

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OUTDOOR
On croyait que j’étais barge », dit Mathieu, 13 ans. « On me traitait de fou en classe », révèle Rayan, 12 ans. Deux garçons à haut potentiel qui ne se connaissent pas et qui pourtant ont vécu des choses semblables. Deux garçons aux comportements différents, voire étranges pour la normalité, incompris, pas considérés, jugés, souvent humiliés, blessés par les autres élèves ou les professeurs, dont la scolarité n’est pas un long fleuve tranquille. Beaucoup de clichés et stéréotypes ont la vie dure sur les hauts potentiels intellectuels (HPI) ou hauts potentiels émotionnels (HPE). Ce sont « des petits génies hautains et prétentieux », « des surdoués », « des enfants exceptionnellement brillants, ils pensent tout savoir »… « Le haut potentiel est scientifiquement défini par un quotient intellectuel (QI) supérieur à 130. Mais on ne doit pas s’arrêter à cet indicateur de mesure. Être haut potentiel fait référence à un mode de fonctionnement spécifique, des compétences plus développées que la moyenne et une réflexion plus accrue, à des capacités et une hyperactivité cognitives nettement supérieures à la moyenne », explique Valentine Course, psychologue clinicienne à Nouméa. L’ENNUI Rayan faisait des crises de colère que ne comprenaient ni ses parents ni ses enseignants. C’est en CP que la maîtresse se rend compte de ses capacités et propose qu’il passe un test avec la psychologue scolaire. À l’âge de 6 ans, Rayan est détecté HPI. « On a mieux compris pourquoi il faisait ces crises en se documentant sur les hauts potentiels, précise Sophie, sa maman. Il n’était pas stimulé à l’école. Rayan a finalement sauté le CP, on a regretté ensuite car c’est l’année de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. » Rayan, enfant zèbre – expression introduite par la psychologue clinicienne Jeanne SiaudFacchin au début des années 2000 – s’ennuyait au regard de ses capacités. L’ennui, un sentiment partagé par beaucoup de hauts potentiels. « On me disait que j’étais tête en l’air. Le problème était que je n’étais pas stimulée à part si je voyais l’intérêt d’un sujet, là j’avais de bonnes notes », se souvient Emmanuelle, 28 ans, détectée HPI et TDA en 2022. Cet ennui naît finalement du décalage entre le rythme du HPI et celui des autres. « Quand on comprend au premier mot, quand on mémorise à la première lecture, quand on sait faire à la première explication, que faire de tout ce temps où l’enseignant répète sous plusieurs formes pour s’assurer que tous ont assimilé ? », relève Jeanne Siaud-Facchin, dans son livre Trop intelligent pour être heureux ?. Leur spécificité découle de leur mode de réflexion. Leur cerveau en ébullition ne cesse de réfléchir et de tourner en permanence. Ils se posent des tas de questions qui vont dans tous les sens et font preuve d’une grande curiosité. On dit qu’ils ont une pensée en arborescence, les scientifiques parlent plutôt de divergente, soit une pensée foisonnante. C’est une conséquence de la multitude des connexions neuronales dans le cerveau. La pensée se déploie parfois dans plusieurs directions, parfois en même temps, chaque idée se divisant en sousidées, par association d’idées ou analogies. C’est une pensée en réseaux : chaque idée crée un ensemble d’autres idées, qui créent à leur tour d’autres idées. « Dans les moments de grande fatigue, Thierry a tendance à m’exprimer son flot de pensées, explique Mélanie, son épouse. Cela me fait rire car il saute du coq à l’âne sans s’en apercevoir, mais d’autres fois cela me fatigue et m’épuise ! » LE SENTIMENT DE DÉCALAGE La différence, le sentiment de décalage sont visibles chez les hauts potentiels. « Je me suis toujours sentie décalée dans ma scolarité, se souvient Emmanuelle. On me disait que j’étais dans la lune. Je me sentais seule. De toute façon, les gens s’éloignent parce qu’ils vous trouvent différente. » Même sentiment pour Sarah, 45 ans, détectée HPI en 2020 : « J’étais une extraterrestre pour les autres, incomprise, l’intello de la famille, le vilain petit canard. J’étais une enfant solitaire qui a eu ensuite une adolescence rebelle vis-à-vis de l’autorité et qui était sans filtre. Je dérangeais. » Si le sentiment de décalage est partagé par les HP, il ne se manifeste pas forcément de la même façon. Juliette est la maman de deux ados HPI dont les comportements ne se ressemblent pas. « L’aîné, Paul, avait les traits de l’enfant pénible, maladroit, sans filtre, souligne Juliette. Il était mal élevé. Les enseignants nous gardaient régulièrement à la sortie de l’école pour nous expliquer son comportement inadapté, le refus de colorier, de chanter à la chorale, l’incapacité à rester assis ou à parler doucement, les bagarres à la récré. » Le second ado, Pierre, a un tout autre comportement. « Notre second enfant, qui comme son frère a sauté une classe, sait s’adapter à sa tranche d’âge, quitte à jouer la comédie, et être ce que les autres attendent de lui, poursuit Juliette. C’est un enfant socialement acceptable, calme, apprécié de tous, invité aux anniversaires. Mais les autres l’intéressent peu. Non pas par dédain, mais par lassitude de ne pas trouver de sujet intéressant en commun, et par incompréhension de l’espèce humaine, alors c’est un lecteur insatiable. » Pierre utilise ce que l’on nomme le faux-self, un mécanisme de défense. « Certains HPI vont en effet masquer leur vrai-self en modifiant leur comportement. Les conséquences d’un excès de faux-self peuvent être dévastatrices et entraîner une non-estime de soi car les hauts potentiels vont s’éloigner peu à peu de leur vraie personnalité, ressentir un état de tension puisque leur comportement entre en contradiction avec leurs idées, leurs valeurs. Il peut en résulter une crise identitaire et une perte durable de l’estime de soi », explique Valentine Course. BONS OU MAUVAIS ÉLÈVES ? Mélanie a rencontré en fac de sciences son futur mari, Thierry. « J’ai remarqué qu’il avait des capacités intellectuelles meilleures que les miennes. Je l’ai vu plein de fois apprendre en une nuit, la veille d’un exam, des pages de notions très complexes que moi je mettais six mois à comprendre, décortiquer, apprendre. Il a une mémoire phénoménale et un formidable esprit de synthèse. » Thierry, la cinquantaine aujourd’hui, a eu une scolarité normale, brillante, sans échec. Mais tous les HP ne sont pas de bons élèves. C’est le cas de Xavier qui a découvert qu’il était HPI, à l’âge de 43 ans, lorsque son fils de 7 ans a été détecté en 2015 haut potentiel. Xavier avait passé un test à l’âge de 11 ans. Il était alors reconnu HPI. Mais ses parents n’ont pas cru le psychologue et ne le lui ont pas dit à l’époque. « J’étais tellement mauvais élève, décalé, humilié par les enseignants, se souvient Xavier. Je refusais de répondre à l’école même si j’avais la réponse. J’étais associable. Ma jeunesse, je l’ai passée dans ma chambre, à lire. » Sa scolarité fut chaotique, à tel point qu’il passe son bac en candidat libre, puis entame des études pour être infirmier. « Quand j’ai obtenu mon diplôme, j’ai enfin ressenti un sentiment de liberté », explique-t-il. Mathieu, HPI et TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), a tendance en classe à casser les pieds de tout le monde par ses réflexions, son imagination, ses propos sans filtre, se sentant jugé, méprisé, incompris, pas considéré… La pression, la charge mentale, le manque de confiance, d’estime de soi déclenchent un burn-out en classe de cinquième. Mathieu manque les deux tiers des cours. Plus grave, le garçon pense au suicide, tout comme Rayan qui l’a formulé dans une lettre émouvante qu’il a transmise à sa maîtresse. « Nous avons été convoqués par l’école, se souvient Sophie, la maman de Rayan. Nous avons été très secoués car c’était un appel au secours. Nous avons changé notre façon de l’éduquer à cette époque, en privilégiant le dialogue, l’écoute. » ÉCOLE SPÉCIALISÉE OU PAS ? Les avis sont partagés. Pour Juliette, oui, sans hésiter. « Nous avons beaucoup ramé avec les enseignants. Au début, nous étions réticents aux établissements spécialisés mais nous avons vu des reportages sur ces écoles en Métropole qui semblent très épanouissantes et, franchement, cela donne envie. Il n’existe rien de tel ici. Faut-il s’adapter à nos enfants HP, leur donner des facilités qui leur permettent de s’épanouir en tant qu’enfant ou est-ce à eux de s’adapter à ce monde trop complexe pour eux dès le plus jeune âge, pour être prêts à leur future vie d’adulte, poursuit Juliette. Nous étions plutôt pour la seconde solution, ensuite plutôt pour la première. » C’est aussi l’avis de Sophie, la maman de Rayan, qui est convoquée systématiquement par l’établissement scolaire à chaque rentrée des classes. « Pourtant, je préviens que mon fils est HPI et qu’il peut avoir un comportement différent de celui des autres élèves. Mais les enseignants ne comprennent pas. Ils ne sont surtout pas du tout formés pour accompagner ce genre d’enfants, appuie Sophie. Oui, je suis favorable à des classes spécialisées où ils pourront s’épanouir sans être jugés et incompris. » Mais pour Valentine Course, des classes spécialisées ne sont pas la solution. « Les enfants HPI doivent développer une capacité d’adaptation. Les enfermer dans une classe spécialisée, c’est les couper du reste du monde, indique la psychologue. En revanche, il faut former les enseignants. » Alors que Xavier a eu une scolarité compliquée, il est aujourd’hui infirmier scolaire à Cluny et à Blaise-Pascal. « Cela peut faire sourire au regard de mon parcours, mais finalement, être infirmier en milieu scolaire a été ma thérapie », précise Xavier, qui, au sein de l’école, est à l’écoute d’enfants qui ont du mal à s’intégrer. « Il n’y a pas de classe adaptée en Calédonie, même si, à Blaise-Pascal, certains élèves détectés peuvent bénéficier d’horaires aménagés. Il faudrait mettre en place une école pilote et former surtout les enseignants. » DES HYPERS Les personnes à haut potentiel ressentent tout de manière plus intense, sans filtre. Ce sont des hypersensibles. Tout est amplifié. Exacerbé. Extrême. Très vite, ils sont touchés, blessés. Une remarque anodine, un mot rapidement employé, une phrase négligemment formulée, vont déclencher des bouffées d’émotion ou des crises de colère, chez Mathieu et Rayan notamment. « Les HPI sont des personnes qui ont une maturité intellectuelle qui s’accompagne d’une immaturité émotionnelle, souligne Valentine Course. Ils ont besoin de réassurance en permanence. » « Je suis hypersensible, je pleurais facilement. Dans la famille, j’étais la plus susceptible, je ne me sentais pas aimée, relève Sarah. Les hauts potentiels sont très souvent des empathes, nous sommes très sensibles aux émotions des gens et à leur énergie. » Si les HPI sont des hyperémotifs, il existe une catégorie de zèbres à haut potentiel émotionnel (HPE), qui ont ainsi développé une surdouance émotionnelle particulière, supérieure à la moyenne. C’est le cas d’Anne-Caroline, détectée HPE en 2022, maman d’une enfant de 7 ans, elle HPI. « Je suis très à fleur de peau. Si je refoule des émotions, j’ai des crises d’eczéma. Mes sens sont exacerbés en permanence dans le positif comme le négatif. Mon HPE s’est accentué quand j’étais enceinte et a révélé ma grande capacité d’intuition. Je me permets maintenant d’accepter mes émotions, de les maîtriser, les libérer. Je ressens profondément les gens, leurs états d’âme. Quand on me parle d’un événement difficile à vivre et que j’ai de l’affection pour cette personne, je ressens sa peine et je souffre plus qu’elle. Je suis très empathique. Je suis aussi très sensible aux odeurs, au toucher des tissus, à la lumière, j’ai besoin de solitude pour me régénérer. » Les hauts potentiels peuvent ainsi accumuler les « hypers », en particulier l’hyperactivité. Thierry, le mari de Mélanie, a une hypersensibilité visuelle, tactile, auditive, émotionnelle et une hyperanxiété. « Dans les périodes de stress ou de grande fatigue, certains bruits qui sont anodins pour moi, voire inaudibles, comme deux pièces de monnaie qui frottent dans une poche ou une cuillère qui remue dans une tasse, peuvent le rendre dingue et hors de lui », souligne Mélanie. ACCOMPAGNER Pour Mélanie, femme de Thierry, les proches ont un rôle fondamental pour accompagner les HPI à mieux vivre leurs particularités. « C’est à moi d’avoir l’esprit ouvert et de découvrir son monde », relève Mélanie. Être haut potentiel n’est donc pas un long fleuve tranquille. Ces enfants incompris sont suivis par des psychologues quand ils en ressentent le besoin, à l’instar de Mathieu qui se rend régulièrement au Centre d’accueil et de soins pour les adolescents (Casado). « Être maman d’un enfant HP, ce n’est pas forcément de tout repos, explique Julie. Mathieu est un garçon attachant mais il demande de l’attention. Son hyperactivité fait qu’il ne tient pas en place. On ne s’ennuie jamais avec lui. Il faut beaucoup dialoguer, expliquer. » Même sentiment pour Sophie, la maman de Rayan : « Rayan est un garçon adorable et serviable, très empathique, avec lequel nous avons des discussions d’adulte. C’est essentiel de le soutenir, de l’accompagner pour éviter qu’il soit en échec scolaire et lorsqu’il ne va pas bien, qu’il se renferme, nous allons voir la psychologue. » Si les HP ont des caractéristiques communes – hypersensibilité, pensée en arborescence, empathie, résilience, sentiment de décalage – il est bien évident que comme tout un chacun, ils auront leur propre parcours en regard de leur éducation, de leur environnement, de leur aptitude intellectuelle, de leurs rencontres, de leur culture, de leurs réussites, échecs… Pour Xavier, il serait important d’identifier en primaire les enfants HPI pour éviter qu’ils soient en souffrance et « qu’ils tombent dans les addictions, cannabis et alcool ». Et Mathieu de conclure : « N’ayez pas peur de l’échec car il fait avancer. Faites-vous confiance, c’est la clé de la réussite. On est différents mais c’est notre force. Les gens ont peur de la différence. »
fr-nc