EN INDONÉSIE, LES DERNIERS BISSU
Ni hommes, ni femmes, les Bissu formaient autrefois une communauté vénérée, considérée comme des intermédiaires entre Dieu et le peuple. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une quarantaine sur l’île de Célèbes.
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
Les Nouvelles Caledoniennes

https://lesnouvellescaledoniennes.pressreader.com/article/281960316983141
AILLEURS
Aux aurores, dans une petite ville de l’est de l’Indonésie, un jeune homme marche aux côtés de Puang Matowa Nani, prêtre de la communauté bissu, en le protégeant d’une ombrelle pour le rituel de Mappalili. Cette cérémonie annuelle marque le début de la saison des semailles sur l’île de Célèbes. Il reste moins d’une quarantaine de Bissu, répartis dans le sud de l’île. Ces Indonésiens, qui ne se veulent ni hommes, ni femmes, ont un rôle culturel et spirituel comparable à celui des chamans. Puang Matowa Nani, la soixantaine, raconte l’hostilité de sa famille quand, né homme, il a vécu une crise d’identité dans son enfance et a voulu rejoindre la communauté bissu, à l’apparence féminine. « Ma famille était contre, surtout mon frère aîné. Il me battait sans cesse pour que je sois un vrai homme. J’ai essayé mais je ne pouvais pas. » POURCHASSÉS Dans les années 1950, pendant une rébellion menée par un groupe fondamentaliste islamique qui tente de fonder un califat dans le pays, de nombreux Bissu sont accusés de violer les principes de l’islam et sont persécutés. Pourchassés, tués ou forcés à se comporter comme des hommes, « ils étaient effrayés et ont décidé de se cacher », explique Halilintar Lathief, anthropologue de l’université indonésienne de Makassar. Alors que les Bissu les plus âgés meurent, rares sont ceux dans la nouvelle génération qui viennent les remplacer. Quelques membres de la communauté cependant s’efforcent de continuer à faire vivre leurs traditions. COIFFES ET JUPES BRODÉES Au bord de l’étang, le long d’une rizière d’un vert éclatant, Puang Matowa Nani mène la cérémonie et chante une prière alors que d’autres Bissu vêtus de blouses en soie de couleur vive, de coiffes et de jupes brodées ferment le cortège. Les Bissu effectuent une danse rituelle au son d’un tambour avant de se poignarder avec un long couteau, un « kris », comme en transe. Ils disent avoir reçu un appel divin et doivent suivre une formation complexe, avec de nombreux rituels et un langage secret qu’eux seuls peuvent comprendre. Beaucoup évoquent des messages reçus de Dieu pendant leurs rêves. Julaeha raconte ainsi avoir été pendant deux mois dans un état de délire et avoir vu pendant son sommeil un homme à cheval lui demandant de rejoindre la communauté. DES INTERMÉDIAIRES AVEC DIEU Les Bissu étaient autrefois vénérés et menaient une vie privilégiée. Ils recevaient des terres. « Ils étaient considérés comme des intermédiaires entre Dieu et le peuple », explique Halilintar Lathief. Mais à présent ils peinent à survivre. Certains gagnent leur vie avec des emplois ordinaires, comme le maquillage des mariées. « Ceux qui veulent devenir Bissu sont rares parce qu’on ne peut pas recevoir de salaire du gouvernement », dit Puang Matowa Nani. Malgré les persécutions du passé et les avis contrastés sur la communauté, ses représentants ont toujours leur place dans la société musulmane indonésienne. « Depuis que je suis devenu Bissu, j’ai toujours été accepté, souligne Julaeha. Je n’ai jamais été insulté ou ostracisé. Je suis appelé souvent pour des rituels. » Pattola Ramang, un spectateur fasciné par la cérémonie de Mappalili, estime que les autorités doivent tout faire pour empêcher la disparition de cette communauté. « Ce qu’ils font représente une culture et une tradition que nous devons préserver », dit le musulman de 66 ans.
fr-nc