DENISOVA, LE COUSIN DU PACIFIQUE

L’histoire humaine est tout sauf un long fleuve tranquille. Si notre planète est aujourd’hui habitée par une seule espèce – Homo sapiens –, il n’en fut pas toujours ainsi. Dans les temps reculés, plusieurs types d’homininés cohabitèrent. Notre ADN témoign

2023-03-18T07:00:00.0000000Z

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Les Nouvelles Caledoniennes

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COMPRENDRE

Catherine Ballié avec AFP Si ces dernières années, les scientifiques ont démontré que Néandertal était tout sauf une brute poilue, comme les premières représentations le décrivaient, on sait que notre cousin vivait essentiellement en Europe. Alors qui peuplait l’Asie et le Pacifique ? Selon les dernières découvertes, il s’appelait Denisova. Du nom d’une grotte en Sibérie, où est découvert, en 2008, un os de petit doigt contenant de l’ADN remarquablement bien préservé. Cet ancêtre voyage : en 2019, une mandibule munie de grandes dents est mise au jour sur le plateau tibétain, prouvant que l’espèce a aussi vécu dans cette partie de la Chine. Les Dénisoviens ont donc bel et bien occupé cette partie de l’Asie, signe d’une adaptation à une large palette d’environnements. Une « polyvalence » que ne semblaient pas posséder leurs cousins néandertaliens, plus « spécialisés » sur les régions froides de l’Ouest. 6 % DE L’ADN Le Suédois Svante Pääbo, prix Nobel 2022 de médecine, décrypte le génome complet de Denisova en 2012. Avec son équipe, il découvre qu’il est cousin de Néandertal avec qui il partageait un ancêtre commun, dont il s’est séparé il y a environ 400 000 ans. La mise au jour d’un reste fossilisé d’une jeune fille née de leur union, dans cette même grotte de Denisova, prouve que ces deux espèces archaïques se sont « hybridées », selon les termes employés par les paléontologues. Mais si on sait que Néandertal a disparu de la surface de la Terre il y a environ 40 000 ans, on ignore à quel moment Denisova s’est éteint. Les travaux de Svante Pääbo ont néanmoins permis d’éclaircir le mystère, en mettant au jour un « flux de gènes » entre les Dénisoviens et Homo sapiens, grâce à des comparaisons avec des séquences d’humains contemporains. Autrement dit, avant de disparaître, Denisova s’est aussi métissé avec notre espèce, léguant une part de son ADN à des populations actuelles du Sud-Est asiatique et d’Océanie : Negritos des Philippines, Papous de Nouvelle-Guinée et Aborigènes d’Australie portent une grande proportion de génome dénisovien – jusqu’à 6 %. LA DENT D’UNE PETITE FILLE Les scientifiques en déduisent que les ancêtres modernes des populations mélanésiennes se sont métissées avec des Dénisoviens. Il manquait la preuve de leur présence dans cette partie du continent jusqu’à la découverte, en 2018, d’une dent d’une petite demoiselle Denisova dans une grotte au Laos. Elle devait appartenir à une enfant de 3 à 8 ans car elle était encore en croissance dans la mâchoire. Ce que l’on sait aujourd’hui ? Dans la grotte de Denisova, en Sibérie, trois espèces vécurent successivement, parfois se croisèrent, pendant près de 300 000 ans… Les premiers occupants furent les Dénisoviens, il y a environ 250 000 ans, « à une période relativement chaude », explique Elena Zavala, de l’Institut Max-Planck. Vers -190 000 ans, le climat devient plus froid, Néandertal arrive. Denisova disparaît temporairement pour revenir plus tard, se mêlant à Néandertal… Les deux espèces cousines se croisent ainsi à travers les âges, au gré des changements des écosystèmes. Homo sapiens, lui, débarque vers -45 000 ans. À partir de là, l’ADN de Denisova disparaît des couches sédimentaires les plus récentes. Autre découverte récente : outre Homo sapiens et Homo erectus, qui parcouraient également l’Asie du Sud-Est, la famille Deni Isova aurait pu rencontrer sur son chemin d’autres espèces : les hommes de Florès, en Indonésie, et Homo luzonensis aux Philippines. Mais encore plus surprenante, une étude néo-zélandaise suggère qu’un groupe de Dénisoviens aurait coexisté avec l’Homme moderne en Nouvelle-Guinée jusqu’à disparaître il y a environ 30 000 ans, peut-être même 15 000 ans. Une théorie qui, si elle est confirmée, signifierait que Denisova a été le dernier homininé à précéder notre espèce. Mais ça, c’est une autre histoire.

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