ADJATA KAMARA, SOIGNEUSE D’IGNAME
L’igname est l’une des cultures emblématiques de la Côte d’Ivoire, mais depuis quelques années le tubercule pourrit prématurément. La chercheuse Adjata Kamara s’est lancée un défi : trouver un remède alors que la plante est un pilier de l’alimentation.
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
2023-03-18T07:00:00.0000000Z
Les Nouvelles Caledoniennes

https://lesnouvellescaledoniennes.pressreader.com/article/281865827702629
AILLEURS
Adjata Kamara s’est lancée dans de longues études sur la santé des plantes, en particulier de l’igname. Aujourd’hui âgée de 25 ans, elle est doctorante en agriculture durable, biodiversité et changement climatique. Vêtue d’une blouse blanche, gaie et souriante, Adjata est très à l’aise quand elle explique avec clarté ses travaux au Pôle scientifique et d’innovation de l’Université Félix-Houphouët-Boigny de Bingerville près d’Abidjan. « Mes recherches portent sur les biopesticides post-récolte de l’igname qui est une culture importante en Côte d’Ivoire, troisième pays en termes de production après le Nigeria et le Bénin » en Afrique de l’Ouest, dit-elle. « Nous avons remarqué que le temps de conservation de l’igname avait fortement baissé : il y a dix ans, on voyait apparaître de la pourriture deux à trois mois après la récolte, maintenant c’est après une ou deux semaines », explique Adjata. Au microscope et sur son écran d’ordinateur, elle observe « les champignons qui causent cette pourriture précoce une fois l’igname récoltée », sous les regards bienveillants de Brahima Camara et de Fatogoma Sorho, respectivement responsable de l’unité biopesticides et directeur de recherches à Bingerville. Son but : mettre au point « des biopesticides à base d’extraits de plantes, de champignons et de bactéries bénéfiques », afin de traiter sans produits chimiques cette anomalie qui perturbe la production d’une plante à la base de la nourriture dans plusieurs régions d’Afrique. « J’ESSAYAIS DE COMPRENDRE » Car ses recherches ont permis de déterminer que les pesticides chimiques « qui appauvrissent le sol » et les méthodes de récolte des agriculteurs qui « font des blessures sur l’igname », favorisaient l’apparition rapide de champignons qui font pourrir la plante et la rendent impropre à la consommation. D’où l’urgence de mettre au point des pesticides naturels. Adjata dit avoir déjà obtenu des « résultats satisfaisants » en laboratoire et sur de petites parcelles où ils ont commencé à être testés. Née à Bondoukou, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, région renommée pour ses tubercules d’igname, la jeune chercheuse est la dernière d’une famille de seize enfants. Là-bas, « mon père avait une plantation de mangues où on constatait que le rendement avait baissé », raconte-t-elle, ajoutant : « J’étais petite et j’essayais de comprendre pourquoi ». Elle a donc choisi d’étudier dans un collège où l’on enseignait « les sciences de la terre et de la vie pour pouvoir répondre à ma question de départ », puis, à l’Université, ce sera « biologie et physiologie végétale ». L’an dernier, elle a été récompensée par la Fondation L’Oréal et l’Unesco, qui ont lancé en 1998 l’initiative For women in science (Pour les femmes et la science), destinée à « donner de la visibilité » aux chercheuses à travers le monde. Elle a reçu un prix de 10 000 euros (1,2 million de francs) qui lui permettra d’étendre ses recherches « sur le terrain » pour « voir si mes pesticides sont efficaces et continuer jusqu’à leur homologation ». Ce prix a été « un honneur, mais ça me met aussi un peu la pression, car il faut que je sois un modèle pour les jeunes filles. » Le Pôle innovation et scientifique de Bingerville travaille en partenariat avec d’autres universités africaines, notamment au Kenya, avec pour objectif de former et d’aider financièrement 10 000 chercheurs africains chaque année.
fr-nc