COTRE « POPEYE »
Tant qu’il en restera un
2022-11-26T08:00:00.0000000Z
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Les Nouvelles Caledoniennes

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NAUTISME
Cette partie de l’histoire calédonienne reste largement méconnue. Elle en constitue pourtant l’un des pans les plus importants, car les bateaux populaires dont il est question ici ont permis de ravitailler la population en produits de la pêche pendant plus d’un demi-siècle ! Nous parlons ici des cotres à vivier, en bois et à voile aurique, qui se comptaient par dizaines sur le territoire. À une époque où les solutions de conservation modernes étaient absentes sur les petites unités de pêche, la méthode employée pour ramener des produits frais au port consistait en un vivier disposé dans le fond de la coque. Ce bac, parfaitement étanche à l’extérieur, était percé de trous dans les bordées, qui permettaient à l’eau de mer de s’engouffrer et de maintenir les poissons en vie. La genèse d’un fier gaillard Si on ignore quand fut construit le premier de ces cotres, on connait leur évolution. Le dernier exemplaire flottant est au mouillage dans une baie de Nouméa. Il peut être à l’origine du renouveau de l’intérêt du public si cet article vous en convainc. Élaborés sur le modèle des langoustiers bretons, les plans auraient été importés de France au début du XXE siècle. La technique de construction s’apparente à celle des « coutas » australiens de la région de Melbourne auxquels ils auraient emprunté le long bout-dehors arqué vers le bas, le tableau arrière, et les bordages à clins que l’on retrouve sur les cotres de Belep, issus du chantier de Sam Miller, un charpentier australien installé sur l’île Art à partir de 1866. Albert Babin et Lucien Komornicki, marié avec la nièce d’albert, avaient déjà réalisé ensemble un premier bateau, le Chevalier des mers, une vedette légère de 4,60 m. Sans doute influencés par Elie Lechanteur - lui-même marié avec la cousine d’albert - qui avait terminé deux ans auparavant la construction d’un autre cotre, l’euréka, ils commencent la fabrication du Popeye en 1959 dans le jardin de la famille Babin au Receiving. Ils travaillent d’abord la quille, constituée d’une grosse pièce de chêne gomme ramenée par Lucien, laquelle est maintenue au sol par des poteaux. Albert découpe une première étrave dans du bois de niaouli de Saint-louis et la transporte sur son porte-bagage de mobylette. Insatisfait du résultat, il recommence l’opération. Le tableau arrière puis les couples sont posés. Les bordés sont composés de membrures à franc-bords, découpées dans du peuplier du Japon, assouplies dans une étuve et formées par demi-longueurs. L’ensemble est riveté avec des clous en cuivre à l’aide d’un compresseur et d’une bouterolle. L’intérieur est peint au minium de plomb. Plus tard, la bôme et le mât seront réalisés avec du kaori. Popeye est mis à l’eau à l’orphelinat au début de l’année 1965. Il est équipé d’un moteur 4 cylindres provenant d’une chambre froide américaine, puis d’un moteur marin français Baudouin et enfin d’un moteur Volvo 2. La boite d’embrayage a été confectionnée au service chaudronnerie de la SLN, dont Albert Babin et Elie Lechanteur étaient tous deux salariés. Une tradition perdue Une longue période de coups de pêche et de loisirs familiaux s’ouvre alors pour lui. Mais le monde change, le rythme général s’accélère. À partir du milieu des années 1970, ces lourds petits bateaux (Popeye pèse 600 kg) qui marchent à 4 ou 5 noeuds au moteur, 2 noeuds quand le vivier est plein, ne correspondent plus aux exigences de la société de consommation. Ils disparaissent les uns après les autres, laissés à l’abandon, coulés ou pourrissant dans un terrain vague. Après le décès d’albert Babin, Lucien devient seul propriétaire du Popeye. Il change plusieurs fois de main mais reste visible au mouillage dans la baie de l’orphelinat jusqu’en 2013, avant d’être finalement repéré dans un chantier de Numbo et acquis par Bruno Brésil. Son ainé, l’euréka, est restauré au début des années 1990 et sa remise à l’eau est inaugurée en grande pompe par la Marine nationale. Son nouveau propriétaire envisage d’en faire don au musée de l’histoire maritime de Nouvelle-calédonie mais, par suite de manque d’intérêt et de moyens, il n’y entrera jamais. Il termine son existence sur un terre-plein, lorsqu’un repreneur se manifeste en 2004. Las, l’euréka est irrécupérable : il s’est écrasé pendant le transport. De son côté, Popeye retrouve les flots. Bruno Brésil rénove le pont, la bôme et le mât, rebouche les trous du vivier, installe une pompe de cale, et retire le moteur en vue de sa restauration. Unique conservateur du dernier cotre calédonien en état de naviguer, il espère désormais être rejoint par des passionnés qui sauront, comme pour les voitures de collection, redonner sa noblesse populaire à une embarcation fondamentale de notre patrimoine. Au fond de leur atelier de charpenterie maritime, les Routier à la pointe Chaleix, les Grandin à la route des Artifices, les Lévêque à Touho, les De Greslan, Lebert, Legrand, Hubard, Pènes, mais surtout Élie Lechanteur, attendent. Quand donc reviendront l’ambiance chaleureuse et feutrée du travail du bois, le bruit du rabot qui effleure les tranches, celui des ciseaux qui sculptent les encoches, du maillet et de la scie égoïne, l’odeur de la sciure et de la térébenthine ? Sur le pont du Popeye, à la nuit tombée, Albert Babin s’allonge sous les étoiles. Il reste encore dix heures avant de rejoindre l’île des Pins. Sources : Paul Babin et Bruno Brésil, Arnold Russ, Jean-rené Donguy et Anne Hoyau-berry
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